Lannion n’est plus la « capitale des télécoms » de la fin du XXe siècle. Pour autant, sa technopole a su maintenir ses compétences dans la recherche et le numérique. L’Etat n’investit plus dans le territoire comme ce fût le cas dans les années 1960, les collectivités locales ont pris le relais du développement économique en menant une politique volontariste, avec plus ou moins de réussite.
Même si la création de l’Agglomération ne date que de 2014, les communes du Trégor ont manifesté précocement cette volonté de se rassembler pour renforcer leurs poids sur le développement économique du territoire, la première union de communes datant de 1994.
Aujourd’hui, la démarche de Lannion-Trégor Communauté (LTC) n’a pas changée. Elle s’inscrit dans un objectif d’inciter les entreprises à s’installer et se développer sur la technopole lannionnaise. « C’est clairement parce qu’on a une compétence sur l’attribution des locaux et des aides financières, que nous pouvons attirer la création d’entreprises à Lannion», explique Cédric Seureau, vice-président de LTC chargé de l’enseignement supérieur, de la recherche, de l’innovation, du numérique et de la formation professionnelle.
L’économie est une compétence majeure de la collectivité, à travers le développement numérique notamment. Grâce à ses compétences, LTC est en capacité de louer et d’aménager des locaux destinés à l’installation et le développement des entreprises.
Les entrepreneurs se forment
Lorsqu’il s’agit de formations, certain·e·s entrepreneur·e·s se tournent vers Anticipa. La technopole les accompagne dans leurs formations et leurs installations. C’est le cas de Luc Klaine, directeur de la start-up Axalon, qui façonne des maquettes numériques. “Je suis passé par Anticipa, parce que la plateforme accompagne la création de start-up et les entreprises dans leurs projets de développement, ça nous permet à nous entrepreneurs de savoir où et comment on peut obtenir des subventions.”
Cette combinaison des différentes aptitudes de LTC et d’Anticipa à accompagner les entreprises doit permettre aux Trégorrois de rester sur le territoire, même lorsque ceux-ci connaissent une période d’incertitude concernant leur futur professionnel.
“Je suis salarié de Nokia et mon poste est menacé par le PSE. J’attends de LTC qu’ils me proposent des locaux à bas coût et d’Anticipa qu’elle m’accompagne dans mes futures formations. Je veux monter ma boîte dans les appareils connectés si mon emploi est supprimé par Nokia”, confiait Alain Le Meur, salarié de Nokia lors de l’AG du personnel mardi 14 septembre à Lannion. On compte aujourd’hui 270 sociétés installées dans le parc immobilier loué aux entreprises par LTC.
La start-up Eco-Counter a elle aussi bénéficié de cet accompagnement lors de son installation, comme l’explique Paul Fossey, cadre au sein du groupe Quantéo et responsable, entre autres, des locaux du groupe. Le groupe Quantéo rassemble les start-up Eco-counter, Far-ouest et Quantaflow. « Depuis notre installation, LTC nous vient en aide lorsque nous avons besoin d’agrandir puisque ce sont eux les propriétaires des locaux. Je ne vois pas ce qu’ils font de plus ».
Quelle viabilité sans Nokia et Orange ?
L’offre de locaux et de formations ne suffit pas à attirer les entreprises à Lannion, loin s’en faut. La densité de sociétés technologiques est le facteur principal d’incitation, à commencer par les sites d’Orange Labs et de Nokia. La présence de ces deux groupes confirme les compétences de la technopole lannionnaise dans les secteurs du numérique et, par conséquent, permet d’attirer de nouvelles start-up.
Mais, en juin 2020, Nokia a annoncé un plan de suppression de 1233 postes dans la filiale française Alcatel-Lucent dont 402 à Lannion. “Si Nokia et Orange venaient à disparaître, cela deviendrait compliqué pour les entreprises de Lannion. Ce sont les mastodontes de la technopole, ils assurent l’attractivité du territoire et permettent la création d’emplois dans la recherche et le développement”, explique Paul Faussey.
La crainte de la délocalisation de Nokia est aussi partagée par le directeur d’Axalon. “Bien sûr, avec le départ de Nokia, ça va compliquer la tâche. Si le territoire se vide de ses grosses entreprises, on va se retrouver avec un territoire touristique.”
« Si le territoire se vide de ses grosses entreprises, on va se retrouver avec un territoire touristique. »
Il y a trente ans, Lannion était un pôle moteur dans le secteur du numérique. Aujourd’hui, la concurrence des technopoles de Rennes et Nantes se fait fortement ressentir dans le numérique. C’est pour cette raison qu’il est d’autant plus important pour le territoire de maintenir les grands groupes sur place.
Benoît Dumont, représentant du syndicat CGT, dénonce la difficulté pour les salarié·e·s de Nokia à retrouver de l’emploi à Lannion. “Oui, il y aura des reclassements locaux. Après je demeurs circonspect. Ce sont des profils particuliers qui ont travaillé sur la téléphonie, la 3G, la 4G, la 5G depuis une dizaine d’années. Alors, forcément, certains seront reclassés chez Ericsson, ou peut-être une entreprise ou deux vont éventuellement accepter d’implanter un site sur Lannion. Dans tous les cas, on ne reclasse pas 402 profils de salariés sur le même bassin. C’est illusoire.”
Lannion, une « ville où il fait bon vivre »
Malgré ce PSE qui risque d’avoir de très lourdes conséquences sur le territoire, Lannion bénéficie d’autres atouts qui peuvent-être propices au bon développement d’une entreprise.
Grâce au développement des télécoms à Lannion dans la deuxième moitié du XXe siècle, deux établissements universitaires ont été fondées, l’IUT en 1970 et l’Enssat en 1986. Par la suite, d’autres écoles et formations (bacs professionnels, BTS…) ont vu le jour. Ces formations sont souvent en lien avec les besoins des entreprises du territoire, à l’image du BTS photonique et la Licence professionnelles tourisme numérique.
Elles incitent aussi les étudiant·e·s à rester à Lannion. “Certains de nos salariés ne sont pas nés à Lannion. Ils ont fait leurs études à l’Enssat à Lannion et ont décidé de rester. Dans notre groupe, on compte environ 15 étudiants de l’Enssat qui ne sont pas originaires de Lannion sur 90 salariés du groupes”, informe Paul Faussey pour Quanteo.En plus de cette offre de formation, les entrepreneur·e·s qui s’installent sur Lannion bénéficient d’un cadre de vie agréable, avec un tissu associatif important, et la proximité de la côte de Granit rose. Une des raisons pour laquelle Luc Klaine souhaite rester à Lannion “On possède un cadre de vie agréable. Lannion est original, il y a une bonne dynamique de territoire sur une ville qui n’a pas la taille de Rennes ou de Nantes”.
La technopole Rennes Atalante possède une meilleure position dans le secteur du numérique français. Son site Beaulieu est consacrée aux technologies de l’information et de la communication avec des grands groupes de TIC comme Orange technicolor, Thales, ou encore Philips.
« Si Nokia et Orange venaient à disparaître, cela deviendrait compliqué pour les entreprises de Lannion. »
La concurrence avec ces deux technopoles se fait ressentir. “Lannion, c’est un tout petit point sur la carte de France, à côté de Rennes et de Nantes, nous ne pouvons pas rivaliser sans aide”, déplore Luc Klaine. Benoît Dumont explique même que, désormais, “40% des emplois en région, se font sur le bassin rennais”.
L’État semble avoir pris conscience de cette concurrence et a créé le label French Tech. Il permet à des start-up isolées des grandes technopoles d’être valorisées dans leur travail. En 2015, le pôle constitué de Brest, Lannion, Quimper et Morlaix au sein de la “Brest Tech +” a obtenu le label Métropole French Tech. Lannion fait désormais partie des 38 communautés French Tech françaises depuis juin 2015.
Ainsi l’État, s’il n’est plus le principal moteur de la technopole lannionnaise, par le biais des compétences de LTC et du label French Tech, participe au développement des entreprises sur le territoire.
K. Gouiffès, C. Corbel et Y. Parentaud
Les pouvoirs politiques impuissants face aux décisions de Nokia
Le 22 juin 2020, Nokia annonce un plan de suppression de 1233 postes dans la filiale française (anciennement Alcatel-Lucent) : 402 personnes du site de Lannion vont être licencié·e·s. C’est plan social constitue une catastrophe pour l’économie du Trégor. Parlementaires et élu·e·s locaux s’indignent. “Cette décision inacceptable doit être revue de toute urgence et je prendrai toute la part qui me revient dans les discussions à venir pour trouver une issue positive”, assure, dans les pages du Trégor, le député Eric Bothorel.
Une motion de soutien a aussi été votée par LTC le 17 juillet. “Cette motion donne de la légitimité aux personnes qui négocient et donne un appui aux salariés”, explique Cédric Seureau.
Le 17 juillet le président du conseil régional de Bretagne, Loïg Chesnais-Girard et le député Éric Bothorel se sont rendus sur place, dix jours avant la visite d’Agnès Pannier-Runacher. Même si un membre du gouvernement exprime son soutien, l’Etat ne peut agir concrètement contre ce plan social.
D’ailleurs, si Nokia avait investi sur le site de l’usine Alcatel-Lucent c’est aussi parce qu’elle a reçu de la part de l’Etat 280 millions d’euros de crédit impôt recherche (CIR) 4 ans auparavant. En contrepartie de cette aide financière, Nokia devait maintenir l’emploi à Lannion jusqu’en juin 2020. Le volontarisme de l’Etat ne suffit pas à préserver l’emploi sur le territoire. Le risque grandit de connaître la disparition de l’entreprise Nokia à Lannion.