De la couture à la bobine. Des femmes dans l’industrie des télécoms

Premières licenciées des industries des télécoms, les femmes ont pourtant été sollicitées dès leur développement dans les années 1960. Elles ont été les premières victimes de la désindustrialisation du Trégor. Elles sont d’anciennes couturières, filles d’agriculteurs et sont recherchées pour les secteurs de la production. Cinq de ces femmes, formées chez LTT ( devenu Alcatel), ont accepté de témoigner.

« C’était une solution de facilité, je n’avais pas le choix et je n’avais pas de diplôme ! » Pour Martine et comme pour des centaines d’autres femmes, travailler à la LTT (Lignes Télégraphiques et Téléphoniques) était « une opportunité ». Le développement des entreprises de télécoms dans les années 1960 multiplie les offres d’emploi. La main-d’œuvre féminine abondante sur le territoire répond aux besoins accrus de personnel. « À la LTT, dans les années 60, il y avait entre 95 et 100% de femmes dans les ateliers de bobinages, tandis que dans les ateliers de câblerie, il n’y avait que des hommes, » explique Jean-Jacques Monnier, historien spécialiste de la Bretagne. Présentes en majorité dans les secteurs de l’électronique, des télécommunications et de l’administration, elles sont principalement ouvrières et occupent des emplois d’assemblages ou de fabrication. 

Pour les femmes, travailler dans les télécoms fait souvent figure de premier emploi. Michelle, habitante de Plougrescant a 18 ans quand elle intègre la LTT en 1972. Membre d’une famille de huit enfants, elle explique qu’« il fallait être indépendante et avoir un salaire rapidement ». Un avis que partage aussi Martine. Elle fait son entrée dans l’entreprise en 1974 à l’âge de 18 ans. Comme Michelle, elle est fille d’agriculteurs : « Ils voulaient que l’on se débrouille le plus tôt possible. » Elle laisse donc tomber son envie d’être institutrice pour « un travail pas très intéressant » mais qui lui « assure un salaire ». 

Reconstitution d’une offre d’emploi pour la L.T.T. en 1963 à partir des éléments de témoignage recueilli pour cet article.
L’insertion professionnelle sans diplôme

Travailler à la LTT ne nécessitait aucun diplôme. Denise Le Penven, directrice des ressources humaines d’Alcatel à Lannion, indique tout de même que « des aptitudes étaient recherchées, chez les couturières notamment. Elles avaient des compétences comme la précision et la dextérité. Les industries recherchaient ces profils pour les emplois de production ». 

Régine et Martine elles, n’étaient ni couturières et ni diplômées. « Je ne savais que traire les vaches, » plaisante même Régine, fille d’agriculteurs et originaire de Louannec. Comme beaucoup de femmes, elle a appris son métier « sur le tas ». Les industries des télécoms deviennent alors un espace de qualification. Des formations étaient proposées aux ouvriersères pour devenir techniciennes. Martine a participé à ce type de formation. Sans diplôme, elle a « tenté d’avoir son baccalauréat ». Sans succès. C’était donc un moyen pour elle, « de sortir de mon quotidien d’ouvrière, d’obtenir un diplôme et de comprendre ce que je fabriquais ».

« Travailler à LTT ne nécessitait aucun diplôme . »

« Les ateliers de fabrication étaient composés majoritairement de femmes » explique Martine. Sa première tâche consistait à produire des condensateurs bobinés : « C’était très dur. Il y avait un bruit d’enfer, des machines partout. Alors à 18 ans, on est un peu perdue. Il ne fallait pas être trop sensible mais on s’y faisait. » Après un an dans ce secteur de fabrication, elle passe à celui de la soudure. Elle y restera trois ans avant d’être déplacée dans un autre atelier : celui des condensateurs en papier « mais comme nous étions rémunérées au rendement et que je n’étais pas très manuelle, je n’avais jamais de primes ».

« Des bonnes conditions de travail » et un salaire intéressant

Prime de rendement, de fin d’année, de vacances et 13ème mois …. « Quand j’ai vu ce que j’allais toucher à la LTT, j’ai signé tout de suite ! » s’exclame Laurence*. Cette Bretonne âgée de 70 ans a intégré l’usine en 1973 après avoir passé un concours administratif à Paris. Laurence n’était pas la seule surprise du montant des rémunérations. Comme l’explique Régine : « Les gens allaient travailler à LTT pour l’argent. Surtout que les conditions étaient vraiment correctes. » L’historien Jean-Jacques Monnier explique « qu’on ne les entendait jamais se plaindre de leurs conditions. Malgré le travail à la chaîne et les horaires. » Car les ouvrières travaillaient en deux fois huit. Un premier groupe commençait à cinq heures et terminait à treize heures tandis que le second prenait la relève et finissait à vingt et une heures.

« Lorsqu’il y avait le moindre souci, comme l’utilisation de machines dangereuses ou l’emploi de produits toxiques pour la santé, on mettait en place des débrayages, » continue Michelle. « Et la direction approuvait ! » Ces mouvements de grève ont amélioré les emplois des femmes. À la suite de plusieurs luttes ouvrières, les employées ont obtenu de nombreux avantages sociaux. Assurance et mutuelle d’entreprise, crèche pour les enfants et restauration les midis, tout était fait pour que les employés se consacrent à 100% dans leur travail. « Certes c’était l’usine, mais on étaient quand même très bien traitées, » se remémore Martine.

« Les gens allaient travailler à LTT pour l’argent » 

« Les ateliers de fabrication étaient composés majoritairement de femmes » explique Martine. Sa première tâche consistait à produire des condensateurs bobinés : « C’était très dur. Il y avait un bruit d’enfer, des machines partout. Alors à 18 ans, on est un peu perdue. Il ne fallait pas être trop sensible mais on s’y faisait. » Après un an dans ce secteur de fabrication, elle passe à celui de la soudure. Elle y restera trois ans avant d’être déplacée dans un autre atelier : celui des condensateurs en papier « mais comme nous étions rémunérées au rendement et que je n’étais pas très manuelle, je n’avais jamais de primes ».

Toute une carrière dans la même entreprise

Christiane est restée dix-sept ans à Alcatel. Originaire de Rospez et fille d’agriculteurs, elle accepte la prime de départ à la suite des plans de licenciement en 1985. Une somme de « près de 10 000 francs (1525 euros), soit presque un an de salaire ».

Michelle, elle, a travaillé à Alcatel pendant 42 ans. Plusieurs fois son poste a été menacé mais « il y avait assez de départs volontaires dus à la prime ». Elle n’a finalement pas été licenciée mais l’arrêt de l’atelier de production en 1997 sonne l’heure de son départ. Syndiquée, son licenciement a été refusé par l’inspection du travail. « J’ai alors suivi une formation dans l’informatique. Elle a été proposée pour pouvoir continuer à travailler et être assistante à Tréguier dans la même entreprise. » Elle partira finalement en pré-retraite en 2009.

Ouvrière de l’électronique. Productrice du commutateur téléphonique E10 en 1963 dans l’entreprise SLE (société lannionnaise d'électronique), devenu CIT-Alcatel en 1974. ©Louis-Claude Duchesne, Ouest France.

« Certes c’était l’usine, mais nous étions quand même très bien traitées. »

« L’entreprise s’occupait bien des employées, on était considérées ! », explique Laurence*. « Et on rigolait bien ! », ajoute Christiane. « Un jour on avait enfermé un collègue dans un placard, » s’exclame alors Régine.

Pour Martine, « c’est un bon souvenir. On a appris à se débrouiller seules. Il n’y avait pas de cadeaux. » Si le travail à l’usine a participé à l’émancipation des ouvrières, elles n’étaient pas exemptées des tâches domestiques. « Les femmes couraient dans les couloirs lorsque la sonnette annonçait la fin de la journée », se remémore Martine. « Elles étaient pressées car elles devaient s’occuper de leur foyer ou encore récupérer leurs enfants », explique l’historien Jean-Jacques Monnier. Il n’était donc pas rare de voir des centaines de blouses blanches courir vers les voitures sur les parkings.

*Des prénoms ont été modifiés dans cet article

Maxime Gomes et Lou-Ann Le Roux

Du travail manuel à la recherche et développement. L'évolution des emplois occupés par les femmes

« 20% des ingénieurs sont des femmes chez Nokia », estime Marie. Dans l’entreprise depuis 37 ans, elle se fait embaucher l’année de ses 20 ans après un DUT Mesures physiques à Lannion. À la suite d’une enfance passée dans les Côtes-d’Armor, l’offre d’emploi à laquelle elle postule en 1983 se présente comme une opportunité pour rester dans la région. 

Sur les 772 employé·e·s actuel·le·s du site de Lannion, les femmes ne représentent qu’une minorités des emplois. Pourtant, Marie fait figure d’ancienne auprès de ses collègues. La plupart d’entres elles sont plus jeunes et sont entrées dans l’entreprise depuis peu.

« La mains d’œuvre féminine reste rare. Le nombre de femmes ingénieurs sortant des écoles chaque année est proportionnellement bien inférieur à ceux des hommes, » précise Marie-Pierre Fauriol, syndicaliste CFE-CGC chez Nokia Lannion.

En 2020, 19 filles étaient inscrites pour 77 hommes au DUT Mesures physiques à Lannion, informe Marianne Charrier-Vozel, responsable de la formation à l’IUT. C’est là que Marie a été diplômée il y a 37 ans. À l’époque, cette différence significative était déja présente dans l’établissement.  « Lors de mon DUT, nous étions 15 filles pour environ 110 étudiants la première année. », témoigne l’ingénieur.