En 1996, la volonté d’Alcatel de fermer la dernière unité de production lannionnaise entraîne le licenciement de 398 salarié·e·s, essentiellement des ouvrier·e·s. Des solutions de reconversions sont proposées par l’entreprise aux travailleurs·euses, mais les possibilités d’embauches restent très contrastées.
« C’était dur à vivre, je n’avais plus envie de retravailler dans l’électronique », se remémore Liliane Coant. Ouvrière spécialisée depuis ses 18 ans, elle apprend en 1996 qu’elle doit quitter le poste qu’elle occupe à Alcatel depuis 30 ans. Après l’annonce de la fermeture de l’unité de production du site, l’entreprise est légalement tenue de proposer des dispositifs facilitant les reconversions professionnelles afin d’éviter les licenciements secs. Les quelques solutions compensatoires exposées aux ouvrier·e·s ne comblent pas toutes les pertes financière, mais permettent à certain·e·s de rebondir. À cette époque, Alcatel propose de financer des formations aux volontaires.
C’est alors aux travailleurs·euses de chercher et proposer un projet. « J’ai toujours eu envie de faire une formation pour le toilettage canin, je me suis dis “pourquoi pas” », raconte Liliane Coant. Durant trois mois, ses trajets pour Paris, son logement et sa formation sont remboursés pour lui permettre de créer ensuite son entreprise. Sa formation achevée, l’ancienne ouvrière se retrouve seule pour tout gérer. « J’ai cherché un local, je n’ai pas trouvé. Alors, en 1999, j’ai agrandi ma maison et j’ai ouvert en 2000 mon salon qui a tenu un an et demi, faute de moyens. » Par la suite, Liliane Coant est devenue assistante maternelle jusqu’à sa retraite. Abandonner sa vie entière pour se reconvertir, au risque que son projet échoue n’a pas été le choix de tout·e·s. Depuis ses 17 ans, Colette* travaille en tant qu’ouvrière jusqu’à ce qu’elle soit licenciée avec son mari, à 42 ans. « On avait de l’ancienneté, on revenait sûrement trop cher à Alcatel », souligne la retraitée. La direction l’appelle plusieurs fois pour négocier son départ, mais elle refuse sans cesse un reclassement ou une reconversion. « Certaines filles ont été reclassées dans les petites entreprises, elles ont galéré. C’était mal payé.»
« On avait de l’ancienneté, on revenait sûrement trop cher à Alcatel »
De la mobilisation aux négociations
L’annonce du plan social entraîne une mobilisation massive de la population trégorroise. Syndicats et travailleurs·euses tentent de négocier durant plusieurs années les conditions de licenciement des personnes concernées, au cours d’une procédure qui durera jusqu’en 1999. En plus des débrayages et des rassemblements, deux tables rondes rassemblant la direction d’Alcatel et les syndicats ont lieu à Bercy en juillet 1997 et en juillet 1998. Selon un communiqué de presse de la CFDT, Alcatel a accepté un certains nombre de garanties : « Aucun licenciement sec ne doit avoir lieu, chaque salarié se voit proposer au moins deux solutions individuelles, des offres d’emplois de reconversion dans le groupe hors Lannion doivent être proposés et des emplois supplémentaires créés ».
A la demande des syndicats, l’entreprise s’est également engagée à faire tout son possible pour ne pas fermer l’unité de production avant 1999. Dans un communiqué de septembre 1997, la CFDT expose pourtant le fait que, au rythme de l’évolution du site « il n’y aura plus de charge de production à Lannion bien avant la fin de 1998». Pour gérer les reconversions des salarié·e·s, Alcatel met en place la mission « Emploi reclassement » en octobre 1997. L’ouverture de la cellule donnera lieu à de nouvelles manifestations, les ouvrier·e·s reprochant à la direction de proposer des débouchés illusoires.
« On m’a fait des propositions de reconversions à des postes qui n’existaient pas ou qui duraient 3 ou 4 mois. »
De fausses solutions
Repositionner les salarié·e·s d’Alcatel, certes, mais avec quelle efficacité ? Ce n’est qu’avec le recul que les ouvrier·e·s concerné·e·s ont pris conscience du caractère éphémère des solutions qui leur ont été apportées. Anciennement ouvrière dans l’entreprise de téléphonie, Pierrette Le Roux témoigne : « Les ingénieurs étaient reconduits à la tête de PME autour d’Alcatel et des collègues ouvrières s’y rendaient également ». D’ailleurs, ces PME bénéficiaient de contrats de sous-traitance à Alcatel. Un procédé de reclassement qui entraîne une baisse de salaires inévitable, « en rejoignant ces entreprises, elles perdaient leurs privilèges liés à leur ancienneté, notamment en repassant au SMIC ».
La Trégorroise n’a pas eut à faire face à cette situation, elle a choisi la solution de la préretraite. « Il me restait trois ans à travailler au moment de mon licenciement, j’ai choisi de bénéficier des aides au chômage avant de partir sereinement en retraite », se remémore-t-elle. Même constat du côté d’Yvon Ollivro, délégué du personnel en 1996 et syndicaliste actif durant l’épisode du plan social : « Les personnes replacées dans les PME bénéficiaient de salaire bien moindres et les conditions de travail y étaient d’un autre âge ». Pour d’autres ouvrier·e·s, la carrière professionnelle s’apparente aussi à des offres de contrats courts et souvent à temps partiel. Des promesses d’embauche qui ne garantissent pas un niveau de revenu suffisant comme le confie Colette : « Je me suis très vite retrouvée au chômage, j’aurais préféré garder mon travail et ne pas avoir de prime de départ ». Certain·ne·s ouvrier·e·s seront temporairement employé·e·s chez Highwave, start-up dont le développement fulgurant n’aura d’égale que sa chute précipitée. D’autres encore sur le site de production optique Optronics, qui fermera en 2002. Yvon Ollivro explique aussi : « On m’a fait des propositions de reconversions à des postes qui n’existaient pas ou qui duraient 3 ou 4 mois ». Selon lui, ce sont tous les postes de la chaîne de production qui ont été victime de ces « fausses solutions ».
Syndicalistes stigmatisés
La direction d’Alcatel de l’époque a aussi été accusée de donner un traitement différentiel aux membres les plus engagé·e·s dans la défense des salarié·e·s. En 1996, Alcatel assurait garantir le reclassement professionnel des 398 salarié·e·s touché·e·s par son plan social. En février 1999, six d’entre eux·elles, engagé·e·s au niveau syndical, n’avaient (pas encore) reçu aucune solution de reclassement interne.
À l’époque, Alcatel affirmait avoir apporté des opportunités de reclassement à ces syndicalistes de la CGT, la CFDT et de la CGC. Ces solutions sont vues comme “un chantage” réalisé par l’entreprise. « Il est clair que la direction n’a cherché que des solutions hors de l’entreprise », témoignent les syndiqué·e·s dans le Trégor à l’époque. La CGT développait alors : « N’est-ce pas le rôle des délégués de défendre les salariés le plus longtemps possible ? ». À terme, l’inspection du travail donnera finalement raison aux syndicalistes.
« Beaucoup se sont retrouvés dans la mouise »
Chez les ouvrier·e·s, la reconversion professionnelle est aussi parfois synonyme de difficultés financières, morales et familiales. Pour Colette et Louis*, couple licencié lors du plan de 1996, la situation s’est révélée très compliquée. A 42 ans, l’ancienne ouvrière suit une formation en informatique, puis enchaîne les contrats aidés et les petits boulots à temps partiel. Une situation précaire qui n’est malheureusement pas exceptionnelle. « Les femmes, surtout, ont plus de mal à se réinsérer dans la vie professionnelle. On n’a plus envie de retourner dans l’entreprise après un licenciement, moralement c’est dur à accepter. Je comprends que certains divorcent, cela a aussi un fort impact sur la vie familiale. »
Difficile de retrouver une stabilité financière avec un bagage d’études faible (beaucoup travaillaient depuis leur 16 ans), en ayant oeuvré toute sa vie au même poste au sein de la même entreprise. Yvon Ollivro détaille : « Dans l’entreprise, il y avait un soutien avec les collègues de travail. Après le licenciement, elles se sont retrouvées toutes seules avec peu de ressources, engendrant pour certaines des problèmes de dépression, d’alcoolisme… Beaucoup se sont retrouvés dans la mouise ».
Vingt ans après, la violence des retombées du plan social de 1996 demeure dans les mémoires du salariat lannionnais, alors qu’un nouveau plan de plus de 400 licenciements est actuellement en cours à Nokia.
* Les prénoms ont été changés.
L. Noyal, G. Monnier et A. Dupas
Licenciements à Nokia : flou autour de la reconversion
Alors que le plan de licenciement massif doit prendre effet dans les prochains mois, les perspectives de reconversion sont encore vagues. Avec une annonce de plus de 400 postes supprimés sur le site de Lannion, les salarié·e·s de Nokia enchaînent les mobilisations et les négociations. L’avenir est incertain, en particulier la question de la reconversion professionnelle. À Nokia, une société prestataire est missionnée suite à un appel d’offres pour gérer la reconversion et l’accompagnement des salarié·e·s. Début septembre, le cabinet n’a pas encore été choisi. De manière générale, beaucoup d’incertitudes planent autour des conditions de reconversion. « Pour l’instant on n’a aucune information sur les mesures de reconversions. Il n’y a rien d’envisagé et nous sommes dans l’attente des mesures de la direction », explique Marie-Pierre Fauriol, déléguée syndicale CFE-CGC.
Pour Jacques*, dont le poste est menacé par le plan de licenciement, le constat est le même : l’incertitude. « Ce sera comme le plan précédent qui traîne encore aujourd’hui, on n’a pas encore les indications officielles mais seulement des fuites concernant notre futur. C’est un peu chaque année la même chose. » Pour le moment donc, une seule option : attendre novembre pour en savoir plus et possiblement engager une reconversion. Le manque d’informations et de perspectives claires est un facteur angoissant pour les ingénieur·e·s de Nokia. C’est le cas de Christophe : « On n’a pas confiance sur le long terme, on se pose beaucoup de questions sur le site. J’ai 30 ans, j’ai encore la possibilité de changer d’emploi donc je partirai de Lannion ».
*Le prénom a été changé