Highwave, le phénix lannionnais ?

Si Orange valorise sa politique d’essaimage, certaines entreprises qui en sont nées ont fini par déposer le bilan. Highwave est l’exemple le plus connu de Lannion. Cette entreprise issue de France Télécom (désormais Orange) en 1998 a atteint 1 000 salariés en 2001, avant d’être victime de la crise des télécoms. Eric Delevaque et Denis Trégoat ont fait partie de l’aventure Highwave.

Les bâtiments de l'entreprise iXBlue à Lannion ont remplacé l'ancienne usine d'Highwave. Crédit : wiXBlue

Les politiques d’essaimage d’Orange ne datent pas d’aujourd’hui. En 1998, Highwave voyait le jour, à l’initiative de chercheurs de France Télécom. Cette entreprise, basée à Lannion, était spécialisée dans la fabrication de composants optiques. Un projet porté notamment par Eric Delevaque, ingénieur de recherches pour le CNET puis au centre de recherche de France Télécom. « Des programmes de recherche, dont le mien, sur les fibres spéciales, fermaient. Le groupe de télécom se concentrait sur ses recherches propres ».      « Pour continuer mes travaux dans ce domaine, on a créé Highwave avec des collaborateurs. Le directeur de la valorisation de France Télécom m’a aidé à structurer mon projet. » Pour financer sa start-up, il bénéficie des fonds d’investissements d’Innovacom (Innovacom est une société de capital innovation créée en 1988 et dans laquelle France Télécom a investi.)

L’entreprise est lancée avec une enveloppe de 3 millions de francs (environ 457 000 euros). Et France Télécom ? « La moitié de l’enveloppe a servi au transfert de technologies et de savoir-faire de France Telecom, continue-t-il, deux de leurs salariés venaient travailler chez Highwave. On leur reversait leur salaire via le groupe de télécoms. » Mais le grand groupe rentre tout de même au capital de la start-up en 1999 « sans avoir déboursé un sous », explique Eric Delevaque. La firme entre au capital d’Highwave au moment de la vente des brevets. Highwave se porte bien et entre en bourse en juin 2000. Au premier trimestre 2001, 500 personnes sont embauchées en CDI. Début 2000, 1000 personnes travaillent pour la société à la production des composants. Mais l’essor de l’entreprise n’est que de courte durée. Toutes les personnes embauchées en CDI font face à deux vagues de licenciements seulement neuf mois plus tard. 400 départs en novembre ; 300 en décembre. Licenciements qui font suite à la perte du principal client : l’entreprise américaine Marconi, qui représentait 75 % du chiffre d’affaires. Denis Trégoat, arrivé en 2000 dans l’entreprise bretonne en tant qu’ingénieur après avoir travaillé pendant quinze ans Alcatel à Paris, se rappelle : « Avec l’éclatement de la bulle internet et les bulles spéculatives, nous n’avons rien vu venir. » Il reconnaît : « Notre erreur a été de n’être basé que sur un marché, celui des télécoms et de n’avoir eu qu’un seul gros client, Marconi. » Entre 2001 et le dépôt de bilan en 2005,« le prix de ventes de nos produits a été divisé par vingt », témoigne Eric Delevaque. « France Télécom a gagné de l’argent grâce à nous. Ils ont récupéré leur participation. »

« France Télécom a gagné de l’argent grâce à nous. »

L’aventure Highwave se conclut

De nombreux ingénieur·e·s d’Highwave partent dans d’autres régions. Denis Tregoat reste à Lannion pour fonder l’association Perfos en 2003, devenue Photonics Bretagne en 2012, acteur majeur du secteur de la photonique en Bretagne. « On voulait préserver les équipements, les expertises ressources dans l’optique d’un développement. Rendre pérenne la fibre optique sur le territoire. » De son côté, Eric Delevaque continue sur sa trajectoire. En 2006, Manlight, est bâtie sur les restes d’Highwave, à Lannion « après le plan de reprise lancé par le groupe Alcent ». Il en devient le directeur général. L’entreprise fabrique des amplificateurs optiques pour les télécoms et des lasers à fibre pour l’industrie. Dès la fin d’Highwave, et avec Manlight, la production se délocalise en Thaïlande et les équipes se réduisent à une trentaine de personnes. Après s’être faite racheter en 2011 par le géant 3S Photonics, Manlight dépose aussi le bilan un an plus tard. « On était qu’un dommage collatéral du grand groupe qui s’est noyé », selon Eric Delevaque. Une fin qui pourrait ressembler à celle de Nokia. Selon leur stratégie expliquée par Raphael Suire, chercheur en économie et management. L’ingénieur poursuit sa carrière dans la fibre optique au gré des opportunités : programme de recherche ou créations d’entreprises. Aujourd’hui, il a rejoint les équipes de BKTEL Photonics. Un groupe allemand implanté à Lannion, où une vingtaine de salariés continuent leurs activités autour de la photonique et la fibre optique. « Les seuls échanges que nous avons aujourd’hui avec Orange sont pour des programmes de recherche sur des innovations », conclut l’ingénieur.

 

M. Guiomard

NOKIA ET LES START-UP

Lorsqu’une technologie développée par une start-up intéresse une grande entreprise, elle l’achète, puis la sclérose. » Le phénomène que Michel Tréheux, ingénieur retraité, décrit ici, correspond bien à la politique de Nokia en matière de start-up.      « Nokia est dans une stratégie de prédation », explique Raphaël Suire, chercheur en économie et management à l’Université de Nantes. « Au lieu de laisser son concurrent Orange accompagner les start-up au développement d’un service, Nokia les phagocyte. » Ce genre de démembrement technologique est ce qu’a vécu Alcatel, rachetée à deux reprises par des groupes transnationaux pour ses technologies mais sans attache pour le territoire.

Pour Raphaël Suire, cette différence de stratégie entre Orange et Nokia découle de la nature même des deux entreprises. Orange est à l’origine une entreprise nationale dont les services se sont diversifiés avec la privatisation, mais dont l’assise reste nationale. À l’inverse, Nokia est une multinationale. Avoir de petits collaborateurs locaux n’est pas un objectif.En outre, « Nokia a laissé tomber la téléphonie mobile », selon le chercheur de l’Université de Nantes. Leader du domaine dans les années 2000, la firme n’a pas vu arriver la révolution de l’Internet mobile avec la démocratisation des smartphones, et est aujourd’hui dépassé par les firmes asiatiques. Investir dans des start-up à Lannion, pôle historique de télécoms en France, n’est donc plus pertinent dans sa stratégie de réorientation.