Dans les années 60, la Bretagne, et notamment le Trégor, s’industrialise. Les premières entreprises de télécommunication s’installent à Lannion, et permettent au territoire de se développer, sur le plan économique, comme démographique, transformant la ville et ses alentours en centre de recherche et pôle des télécoms.
Pierre Marzin : un acteur central
Le cnet est « une des plus belles choses au monde et va certainement transformer sensiblement la figure et la nature de votre ville et de votre région ». Pierre Marzin n’aurait pu rêver meilleur compliment que ce discours du président de la République Charles de Gaulle, en visite dans le Trégor, le 8 septembre 1960.
En 1955, le Comité de décentralisation s’intéresse au transfert de services et d’établissements techniques ou scientifiques de la capitale vers la province, et étudie le cas du Centre national d’études des télécommunications (cnet). Les postes de télécommunications sont le seul secteur répondant à cette demande de décentralisation. À la tête du cnet depuis 1953, le polytechnicien Pierre Marzin est originaire de Lannion. C’est naturellement qu’il appuie la proposition de délocalisation du site du cnet d’Issy-les-Moulineaux vers la Bretagne. Principal décideur, il bénéficie du soutien de René Pléven, lui aussi originaire de Bretagne et président du Conseil des ministres de 1951 à 1952.
« Pierre Marzin fait installer les premiers centraux téléphoniques ruraux en Bretagne, les premiers en France »
Lors de leur rencontre, les deux hommes font le même constat : le développement de la France ne peut s’opérer sans celui de la téléphonie. « Pierre Marzin fait installer les premiers centraux téléphoniques ruraux en Bretagne, les premiers en France », explique Jean-Jacques Monnier, universitaire spécialiste de l’histoire de la Bretagne. Il ajoute : « La convergence de la volonté locale et de la volonté nationale permet le développement du Trégor ».
Le cnet est inauguré à Lannion, en 1963, par Jacques Marette, ministre des Postes, télégraphes et téléphones (PTT). Simultanément, le Centre de télécommunications spatiales s’installe à Pleumeur-Bodou.
Un terrain propice aux expérimentations
Lannion est un endroit parfait pour expérimenter, plaident à l’époque Pierre Marzin et Louis-Joseph Libois, futur directeur du site entre 1968 et 1971. Ce nouveau centre des télécommunications est, grâce à son éloignement de Paris, un lieu favorable à l’essai de domaines inédits. Un moyen pour les équipes de « monter en puissance dans de meilleures conditions ». Un « terrain de jeu » qu’ils ne vont pas tarder à exploiter en faisant venir du matériel et de la main d’œuvre de la capitale.
La plus emblématique des constructions reste le Radôme, ce drôle de dôme géant qui égaie le paysage du Trégor . C’est à Pleumeur-Bodou que furent reçues les premières images de la télévision intercontinentale. « Nous étions impressionnés de voir des énormes camions aller et venir pour construire cet immense radôme », déclare Charles, retraité des télécoms à Lannion. L’antenne PB1 (Pleumeur-Bodou 1) balaye l’horizon sur 360 degrés, tandis que son cornet s’élève vers le ciel guettant le passage de Telstar (satellite de télécommunications). À 00 h 47 précises, le 11 juillet 1962 le premier « direct » de l’histoire. Mission accomplie !
C’est un événement pour l’histoire de la télévision et des télécommunications, dès lors, il sera possible d’effectuer des transmissions en direct, d’un continent à l’autre.
Une implantation géographique favorable
Si l’installation des télécoms a pu être réalisée, c’est grâce notamment à un ensemble de conditions locales favorables. L’Ouest de la France étant très rural, les Côtes-du-Nord bénéficiaient de terres agricoles pléthoriques et peu voire non cultivables parce que trop exploitées. « Ce qui a profité à Lannion fut la capacité des politiques locaux à offrir des parcelles moins chères, des offres attrayantes », déclare Jean Ollivro, géographe.
Elles constituaient, de fait, un terrain favorable à l’installation d’industrie légère telle que l’électronique et la téléphonie. Le Trégor devient ainsi le pionnier dans le développement des premières industries d’électronique.
Peu coûteuses, ces terres disponibles possédaient un atout majeur : leur proximité avec l’aéroport. Construit par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale, cet équipement permettait des liaisons fréquentes avec Paris et constituait alors un argument décisif pour les ingénieur·e·s parisien.ne.s : « Le gros problème était de faire venir les ingénieurs et leurs familles […] un avion gratuit est donc mis à leur disposition », explique Jean-Jacques Monnier. Il permet également le transport aisé du matériel : « La distance était abolie », ajoute l’historien.
Le développement de la ville se fait en un temps record. En moins de deux ans, la commune est en capacité d’accueillir l’ensemble des nouveaux habitants et développe ses infrastructures telles que le logement, les écoles, les collèges, les lycées ou encore un hôpital.
En 1961, les quatre communes, Brélévenez, Buhulien, Loguivy-lès-Lannion et Servel, situées autour de Lannion, fusionnent avec cette dernière pour créer le « Grand Lannion ».
Cette impulsion transforme le Trégor, véritable espace-pionnier, réunissant centres de recherches et usines. La région de Lannion est ainsi la première en France à bénéficier de technologies de pointe, élaborée par ses chercheurs. « Pierre Marzin se dit que si on construit des centres de recherches, les usines suivront. Et c’est ce qu’il se passe dès 1964 », éclaircit Jean-Jacques Monnier. Cela permet de solliciter une main-d’œuvre qui répond aux besoins des usines.
Richesse d’emplois
« Ils embauchaient tout le monde », se souvient Annick, ancienne ouvrière chez Alcatel. Cette main-d’œuvre est l’un des atouts phare de l’installation des télécoms à Lannion. Les jeunes trégorrois·e·s vont quitter les communes rurales environnantes pour être embauché·e·s dans les nouvelles usines. Le centre de recherches des télécoms à Lannion a donc bouleversé la vie d’une partie de la population.
Lannion passe de 5 899 habitant·e·s en 1957, à 9 479 en 1962. Idem dans la production où l’on compte en 1978 les effectifs suivants : 1 298 à LTT (lignes télégraphiques et téléphoniques), 624 à la SAT, 1 100 à la CIT, 64 à TRT. « Nous étions beaucoup à venir de la campagne. Quand ils sont arrivés avec des propositions de postes et un salaire intéressant, beaucoup se sont formés pour intégrer le centre de recherches », raconte Annick.
« Ils embauchaient tout le monde »
Si la création de l’institut de recherches de Lannion a entraîné le transfert de petites équipes de la région parisienne, les ouvrier·e·s eux·elles étaient des loca·ux·les. Les postes à pourvoir dans les ateliers ne nécessitaient pas de formations particulières. Pour preuve, « certains étaient peintres, couturiers ou encore boulangers… ! », s’esclaffe Annick. La ville continue ainsi à s’étendre et s’équiper : nouveaux collèges, lycées, nouveaux lotissements à l’Ouest de la ville en direction de Morlaix, le tout en 1964. Les embauches sont alors nombreuses et concernent une large part de la population (Trégor, Trieux, Morlaix et jusqu’au-delà de Guingamp). L’équivalent d’un rayon de 70 kilomètres d’Est en Ouest et de 40 kilomètres du Nord au Sud. Lannion, petite ville rurale, est devenue le berceau des télécoms en Bretagne.
J. Poncet, C. Dalicieux, A. Lacour-Veyranne
Petites histoires dans la grande
L’arrivée des entreprises de télécommunication a permis à la ville de Lannion de se développer tant sur le plan économique, que démographique. Nous avons rencontré Patricia* et Annick, retraitées de chez Alcatel.
Patricia a travaillé pendant 27 ans chez Alcatel. Originaire de Laval, elle a eu plusieurs métiers avant de devenir employée de bureau au sein de l’entreprise de télécommunication, « j’ai été magasinière, j’ai fait de la comptabilité et d’autres petits boulots ». Quand les entreprises de télécommunication sont arrivées à Lannion, Patricia, comme beaucoup d’autres, a saisi l’opportunité et s’est installée en Bretagne. Sans formation particulière, elle a appris « sur le tas ».
L’arrivée des entreprises de télécommunication a complètement bouleversé la vie d’Annick, habitante de Plestin et issue d’une famille d’agriculteur·trice·s, elle a pu améliorer son niveau de vie avec un « bon salaire ».
Salariées d’Alcatel durant la même période, les deux femmes sont devenues amies, elles se revoient lors des réunions de l’amicale des retraités d’Alcatel. Elles ont été témoins du plan social de 1985, de l’installation des nouvelles infrastructures de la ville et de l’arrivée massive de main-d’œuvre à Lannion.