les années 1960 propulsent Lannion comme pôle majeur des télécommunications en bretagne. Suite à l’installation du cnet, la ville connaît un boom démographique et économique, fusionnée avec les communes voisines, elle est désormais qualifiée de « grand lannion ». Le Trégor connaît son « âge d’or », avec une richesse qui permet à ses habitant·e·s de s’épanouir économiquement. Mais cette période renforce aussi certaines inégalités territoriales.
Avec l’arrivée des Télécoms, Lannion voit les choses en grand. La ville telle qu’elle est à la fin des années 1950 ne peut pas se suffire à elle-même. Peuplée d’un peu plus de 6 000 habitant·e·s sur 349 hectares, elle doit s’agrandir afin d’accueillir le CNET. Un projet de fusion entre Lannion et quatre communes voisines du Trégor voit donc le jour. Le 8 octobre 1959, un conseil réunit les représentants de Lannion, Brélévenez, Buhulien, Loguivy-lès-Lannion et Servel. Les cinq doivent se rassembler afin de constituer un seul ensemble, appelé le « Grand Lannion ». Brélévenez est la plus convoitée par la municipalité lannionnaise, car c’est ici que la Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP) doit s’installer.
Or, c’est la commune la plus réticente à cette « annexion », alors que Servel, Loguivy et Buhulien signent sans hésiter pour ce projet. Ernest Laurent, maire de Brélévenez, craint que les agriculteurs⸱trices de sa commune soient délaissé·e·s au profit des industries. Finalement, une consultation populaire est organisée et le « oui » à la fusion l’emporte, par 391 voix contre 67.
C’est le 25 avril 1961 que le Grand Lannion est créé. Brélévenez, Buhulien, Loguivy et Servel deviennent des parties intégrantes de Lannion, qui gagne en espace et augmente sa démographie. L’intérêt, au-delà d’agrandir le territoire de la commune, est également économique. L’installation des entreprises sur le sol de la ville permet à cette dernière de percevoir les taxes professionnelles.
« Si Lannion était restée à ce qu’elle était avant, l’argent des usines serait arrivé à Brélévenez et Servel, des communes de 1 500 habitants seulement », explique Jean-Jacques Monnier, historien spécialiste de la Bretagne. La fusion permet de créer une zone industrielle d’un seul tenant. Les gains économiques profitent ainsi à un panel plus large d’habitant·e·s, et non seulement à ceux·elles qui vivent dans les petites communes séparées. Finalement, en s’étendant, le bourg que représentait Lannion est devenu la capitale bretonne des télécommunication.
Un boom démographique
Rassemblées sous la coupole de Lannion, les cinq communes forment un nouveau territoire de plus de 40 km², soit le double de la ville de Saint-Brieuc. Ces nouveaux espaces sont décisifs dans le projet du « Grand Lannion » pour faire face aux arrivées de population qui vont se succéder. Entre 1960 et 1975, la population double. 9 000 personnes habitent à Lannion au moment de la réunification. Vingt ans après, on en compte plus de 18 000. Des arrivées massives qui sont directement liées à l’implantation du Cnet sur le territoire. « Cette nouvelle attractivité n’est pas due au hasard. Elle fait revenir 40 % des Bretons partis chercher du travail ailleurs qui seront la main d’œuvre des entreprises des télécoms », explique le Trégorrois Jean Ollivro, géographe et spécialiste de la Bretagne. Les ouvrier·e·s lannionnais·e·s ne sont pas les seul·e·s à revenir tenter leur chance.
Les nouvelles entreprises de télécommunications souhaitent délocaliser leurs locaux depuis la région parisienne, mais aussi y attirer leurs ingénieur·e·s. Entre 1958 et 1959, ces dernier·e·s se voient offrir des vacances dans le Trégor par le Cnet pour en vanter les mérites. « Par chance, il fait beau cet été là », s’amuse Jean Ollivro. Et l’opération de séduction fonctionne. Plus de 1 000 personnes intègrent les entreprises dans les années qui suivent.
En raison de l’implantation des centres de recherche en télécommunications, ainsi que d’industries de l’électricité et de l’électronique, ce sont au total plus de 2 000 familles qui s’installent à Lannion en 10 ans. Mais les équipes d’ingénieur·e·s parisien·ne·s ne sont pas les seul·e·s à bénéficier de l’installation du CNET en Bretagne. Les offres d’emplois ne sont pas seulement destinées à la recherche, elles s’adressent également à la main-d’œuvre locale, essentiellement féminine, et des communes avoisinantes. Les Trégorrois·e·s sont en mal de débouchés locaux et les entreprises y voient leurs intérêts propres. « Employer des locaux est à leur avantages. Ils sont payés un tiers moins cher qu’à Paris », affirme Jean Ollivro. La municipalité de Lannion n’a d’autre choix que de donner la priorité à l’absorption de ces arrivées massives, et d’emprunter 150 000 nouveaux francs (environ 200 000 euros) pour aménager de nouveaux terrains.
Une politique urbaine priorisée par la municipalité
Après la fusion en d’avril 1961, le nouveau maire Henri Blandin souhaite axer sa politique publique sur le développement de Lannion, en particulier sur la construction de nouveaux logements. En effet, la superficie de la ville, grâce à la fusion, a été multipliée par cinq. De nouveaux terrains sont disponibles, un avantage pour la municipalité qui entreprend alors des travaux d’une grande ampleur à la périphérie du « vieux Lannion ».
Dès le 26 mai, le conseil municipal vote les premiers prêts contractés par la ville pour les lotissements, considérant « la nécessité de faciliter la construction de nombreux logements à Lannion en raison de l’implantation sur le territoire du CNET », peut-on lire dans la délibération. Lors de ce même conseil, il est décidé de l’aménagement d’une « zone B » figurant au plan d’urbanisme de Lannion.
« En raison de l’implantation des centres de recherche en télécommunications, ainsi que d’industries de l’électricité et de l’électronique, ce sont au total plus de 2 000 familles qui s’installent à Lannion en 10 ans. »
À l’ouest, les lotissements collectifs et individuels de Pen-an-Ru et de Saint-Roch voient le jour ; à l’est, le lotissement de Goas-Congar, tandis qu’une société privée entreprend des démarches pour édifier un lotissement de la même envergure (127 logements). Le plus gros projet restera la ZUP, dont la construction est décidée le 13 décembre 1961. Située à la sortie de la ville, sur un secteur de 120 hectares. Au total, 2 500 habitations verront le jour. Mais la situation s’est vite révélée complexe. Le retard accumulé est de deux ans au commencement des travaux, tandis que les entreprises envisagent le recrutement de davantage de salariés. Le CNET prévoit 500 emplois en 1962, 1 000 par la suite, et la Compagnie Générale d’Electricité (CGE) 200 cette même année, puis 500 à 1 000 par la suite. Un retard qui s’explique par la complexité d’attribution aux candidats promoteurs et le manque de relevé de terrain. Au total, six sociétés sont sélectionnées pour diriger les chantiers, après de multiples échanges et négociations avec la mairie.
« Le Lannion d’en bas »
L’édification de ces nouveaux lotissements a engendré une nouvelle organisation urbaine lannionnaise, scindant la ville en plusieurs quartiers et zones d’habitation. La priorité de la ville a été de ne pas « créer un déséquilibre entre centre et périphérie » et « d’empêcher tout sentiment de véritable communauté dans le désordre, l’inégalité et la laideur », mentionne le cahier des charges de la Zup. Une volonté qui restera lettre morte. Jean-Jacques Monnier observe une séparation nette dans cette nouvelle composition de la population et distingue deux endogroupes : le Lannion « d’en haut », composé des ingénieur·e·s, des cadres avec un niveau de vie élevé, et le Lannion « d’en bas », qui regroupe les classes populaires locales dont les ouvriers.
« Buhulien, la commune la plus rurale, ne tire pas pleinement profit de ces changements socioéconomiques et la répartition du budget entre les cinq communes n’est pas optimale. »
Cette différence de classe s’observe à travers les quartiers qu’occupent les nouveaux·elles arrivant·e·s par rapport à leurs catégories socioprofessionnelles. Les ouvriers se retrouvent dans le quartier de Ker-Uhel pour être à proximité de leur travail. La rive gauche de Lannion accueille majoritairement des familles modestes, quand les familles aisées habitent à Brélévenez, dans les hauteurs et autour des commerces du centre-ville et du collège-lycée Charles Le-Goffic (Félix Le-Dantec à l’époque), construit pour répondre à l’accroissement de la population. Buhulien, la commune la plus rurale, ne tire pas pleinement profit de ces changements socioéconomiques et la répartition du budget entre les cinq communes n’est pas optimale.
De la même manière, l’apport technologique et économique de l’arrivée des télécoms dans le Trégor renforce certaines distinctions de classe. C’est à cette époque que se démocratise l’accès à l’automobile. Mais dans le cas du Trégor, « l’accès à l’automobile est assez discriminant », explique Jean Ollivro. Les ingénieur·e·s et leurs familles sont en capacité de se procurer des voitures personnelles pour circuler, quand les classes populaires sont dans l’obligation de rester à proximité de leur lieu de travail, et notamment à Ker-Uhel. L’automobile donne plus de liberté dans les déplacements sur le territoire et accélère le phénomène de littoralisation.
Les familles de cadres sont les seules à « pouvoir s’installer sur le littoral et profiter du week-end dans leurs maisons en bord de mer », confie le géographe. En dépit de ces écarts de richesse, ces années ont été un véritable tournant pour la ville de Lannion, ce que Jean Jacques Monnier appelle « l’âge d’or ». L’arrivée du CNET a signé l’entrée de la ville dans un marché fructueux, et a façonné la ville de Lannion pour en faire ce qu’elle est aujourd’hui. Ce passé industriel donne à Lannion une résonance inégalitaire dans le Trégor, favorisant certains territoires comme le littoral.
M. Delahais, M. Lahuppe, C. Revault
Licenciements à Nokia : quelles conséquences sur la vie locale ?
L’arrivée des Télécoms à Lannion dans les années 1960 a eu de nombreuses incidences sur la vie locale dans le Trégor. Un changement majeur dans ces industries aujourd’hui pourrait aussi avoir un impact important. Le plan social prévu par Nokia laisse les habitant⸱e⸱s dans le doute. « Si 400 emplois sont perdus, cela serait très grave pour le Trégor. 400 emplois, cela signifie 400 familles, qui vivent et dépensent dans le pays de Lannion », indique Jean-Jacques Monnier. A l’échelle du Trégor, le conflit est important. Il n’est cependant pas facile pour les locaux⸱ales de peser sur cette décision de la part de l’entreprise. « La décision pourrait être gravissime pour le bassin lannionnais, mais à l’échelle de l’entreprise cela ne représente rien du tout. Il est difficile pour les 20 000 habitant⸱e⸱s lannionnais⸱e⸱s de lutter face à une stratégie mondiale », complète l’historien.